bcom, un institut à l’affût des nouvelles normes technologiques

Pouvez-vous nous présenter b<>com ?

Ludovic Noblet : b<>com est l’un des huit Instituts de recherche technologique (IRT) labellisés par l’État dans le cadre du programme d’investissement d’avenir de 2012. Ces structures sont des modèles de co-investissement entre des partenaires issus des mondes académiques et industriels, afin de résoudre ensemble des problématiques d’ordre technologique.

À côté d’une longue liste de membres investisseurs, b<>com est financé par plusieurs collectivités locales bretonnes et par le plan France 2030*.

Quelles sont les spécialités de b<>com ?

Ludovic Noblet : b<>com explore, conçoit et fournit des innovations aux entreprises qui veulent accélérer leur compétitivité grâce au numérique, et ce dans deux grands domaines de compétence. Le premier est dédié aux réseaux et à la sécurité, avec une focalisation sur la 5G et, plus progressivement, vers la 6G. Ces technologies migrent significativement vers le cloud et le logiciel, posant de nouveaux défis de cybersécurité auxquels nous voulons répondre.

Le second domaine concerne les médias et les données, touchant des applications allant de l’imagerie médicale au son immersif pour la production audiovisuelle. Nos compétences fortes s’y déclinent en plusieurs sous-expertises, comme la compression des images afin de les transporter et de les stocker de manière plus efficiente sur les plans énergétique et environnemental.

Nous développons également des technologies orientées vers la réalité virtuelle et augmentée, avec une attention particulière apportée aux facteurs humains. Nous traitons ainsi de la charge mentale et cognitive d’un utilisateur plongé dans ces environnements. Enfin, nous avons à b<>com un axe transversal dédié à l’intelligence artificielle, notamment pour le traitement de signal 5G et au-delà ou encore l’exploitation de comptes rendus médicaux pour des applications de génomique.

Les chercheurs de b<>com ont travaillé sur la technologie de compression vidéo Versatile video coding (VVC). De quoi s’agit-il ?

Ludovic Noblet : Avec la multiplication des offres de services vidéo, la vidéo représente à présent plus de 85 % du trafic Internet. Les opérateurs ne peuvent pas investir indéfiniment pour que leurs infrastructures supportent ce trafic de plus en plus important, généré par d’autres acteurs de l’Internet qui n’en supportent pas le coût. Le co-investissement étant le modèle de l’IRT, b<>com a travaillé avec Orange, Télédiffusion de France et l’INSA pour contribuer au développement d’une technologie plus efficace de compression vidéo.

MPEG-I VVC succède à plusieurs générations de codecs, c’est-à-dire de technologies pour coder (compression) et décoder (décompression) une vidéo. Chaque génération a été deux fois plus efficace que la précédente en termes de débit requis pour transporter/stocker une vidéo à qualité égale, notamment grâce à l’amélioration des algorithmes qui traitent l’information présente dans une séquence d’images. Il s’agit notamment d’identifier et d’exploiter les redondances, spatiales et temporelles.

Aujourd’hui, l’essentiel du trafic vidéo se fait en HDTV, ce qui correspond à la technologie MPEG-4 AVC. Pour un contenu de même durée, VVC permet de réduire la bande passante et/ou l’espace de stockage nécessaires de 75 %. Tout cela pourrait soulager en retour l’empreinte énergétique globale associée à la distribution de ces contenus, particulièrement pour la vidéo à la demande. Il n’existe à ce jour pas encore de données détaillées fiables mais nous comptons bien explorer la question.

Nous anticipons d’ailleurs la prochaine génération de codecs, qui devrait arriver d’ici à 2030. On parle de métavers et de 3D, de formats encore plus complexes et gourmands en bande passante. Nous prenons également en compte le fait que l’usage de la vidéo s’étend de plus en plus au-delà du seul cadre du divertissement, avec des applications croissantes comme le télétravail, la télémédecine ou encore la vidéosurveillance.

Où en est VVC ?

Ludovic Noblet : La norme a été finalisée en avril 2020 et quelques déploiements ont déjà eu lieu, principalement à titre expérimental en Asie par de grands noms comme Alibaba ou Tencent. MediaTek a annoncé dernièrement la disponibilité de processeurs intégrant le support de VVC, tout comme LG a présenté des téléviseurs intégrant cette technologie. Il s’écoule toujours un temps incompressible entre la disponibilité d’une norme et son appropriation par l’industrie, ce qui explique qu’aujourd’hui la norme MPEG-4 est encore majoritaire. Je pense que le déploiement à grande échelle de VVC commencera véritablement à l’horizon 2025.

Quels autres exemples de travaux de b<>com aimeriez-vous citer ?

Ludovic Noblet : La 5G est un enjeu majeur pour b<>com, avec pour particularité que nous nous intéressons beaucoup aux réseaux privés d’entreprises. Nous venons notamment de lancer *Dome*, un réseau 5G privé, flexible, facile à opérer et souverain, c’est-à-dire reposant intégralement sur des briques logicielles développées en France. Il permet aux entreprises d’améliorer leur activité par une digitalisation avancée et une connectivité sécurisée.

La 5G n’est en effet pas réservée aux réseaux grand public de télécommunication et a aussi un rôle important à jouer pour la digitalisation des entreprises, par exemple pour l’usine 4.0 ou encore l’hôpital du futur. Elle permettra par exemple de s’affranchir de déploiements complexes de câbles lorsque les exigences de qualité de service sont élevées, comme en contexte industriel ou dans des salles d’opération adaptées à la télémédecine. Nous avons également commencé à travailler sur la 6G, qui devrait émerger à l’horizon 2030 pour des usages nous projetant au-delà de 2040.

La question des normes et des brevets revient souvent. Comment les abordez-vous à b<>com ?

Ludovic Noblet : Le cycle de vie complet d’une norme technologique tourne autour d’une trentaine d’années, de sa conception à son remplacement total. Il faut se placer le plus tôt possible dans sa normalisation et sa standardisation afin de tirer sur un temps long, jusqu’à vingt ans, les revenus nécessaires à développer une capacité de réinvestissement.

Les normes technologiques incluent des brevets dits essentiels. Lorsqu’un industriel veut fabriquer une télévision qui supporte un certain codec, il doit rémunérer les détenteurs de ces brevets. Nous protégeons donc nos contributions, nous nous assurons que nos brevets correspondent bien au texte de la norme afin de pouvoir les qualifier d’essentiels.

In fine, la rémunération de ces brevets permet de dégager une capacité de réinvestissement et ainsi refinancer le développement des futures générations de normes. Cela est d’autant plus important que les technologies normalisées requièrent de sept à dix ans entre les premiers efforts de recherche et la rémunération des premiers brevets. Il faut ainsi pouvoir supporter entre temps tous les coûts associés au développement d’un portefeuille de brevets, au-delà des travaux de recherche, d’où l’intérêt à la fois du co-financement et du réinvestissement pratiqué dans les IRT comme b<>com.

Quelles sont les autres problématiques liées aux normes et aux brevets ?

Ludovic Noblet : Ils soulèvent des enjeux importants qui ne sont pas seulement industriels, mais aussi liés à la géopolitique. Sur VVC, une part non négligeable des brevets est détenue par des acteurs chinois. Ce glissement du leadership technologique vers l’Asie est encore plus fort sur des technologies comme la 5G.

Or, quand on achète un appareil comme un smartphone, on rémunère les technologies implémentées via les brevets essentiels. Cela signifie que si nous ne détenons que peu de ces brevets essentiels, beaucoup d’argent part à l’étranger pour refinancer des travaux de recherche qui augmenteront encore plus la part des brevets étrangers dans les futures générations de technologie. Comme nous ne possédons pas les matières premières nécessaires ni ne fabriquons les objets technologiques que nous consommons, nous laisserions énormément de valeur supplémentaire s’échapper si nous ne nous positionnons pas suffisamment sur les brevets essentiels aux normes.

 

Propos recueillis par Martin Koppe

 

* Lancé en 2021 par le Président de la République, le plan d’investissement France 2030 soutient l’émergence de champions technologiques et accompagne divers secteurs d’excellence dans leurs transitions vers l’avenir. L’ANR est l’un des quatre opérateurs de l’État pour France 2030.