Compositions en traits des communautés de poissons récifaux à travers les océans

A l’occasion de la publication de nouveaux résultats dans la revue Proceedings of National Academy of Sciences (PNAS) en mars 2021, Matthew McLean de l’Université de Dalhousie, premier auteur de l’article, a répondu à une interview présentant les enjeux de ces nouvelles découvertes et résumant leur potentiel pour la conservation des poissons récifaux dans le monde entier. Découvrez ci-dessous l’interview menée par Biodiversa sur les travaux du projet REEF-FUTURES également financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR).

Pouvez-vous nous décrire les résultats présentés dans cet article ? Comment ces résultats se démarquent-ils des précédents ?

Nous avons étudié les récifs coralliens et les récifs rocheux dans le monde entier (89 régions de la Norvège au sud du Chili) en nous concentrant sur les traits des espèces de poissons (alimentation, habitats, taille, etc.). Ces traits, bien plus que l’identité ou le nombre d’individus, nous permettent de mieux comprendre l’influence des espèces sur leur écosystème. Nous avons découvert des compositions en traits similaires parmi les communautés de poissons, même lorsque ces écosystèmes se trouvaient dans des régions opposées du globe, du moment que les conditions environnementales de leurs écosystèmes étaient équivalentes (température, nutriments, etc.). Au Japon et au Chili, par exemple, la composition en traits de communautés de poissons était très similaire alors que les espèces évoluant dans ces écosystèmes n’étaient pas les mêmes.

Il s’agissait de la première fois que l’on s’intéressait à la similarité des groupes et des traits fonctionnels de ces communautés de poissons, mettant ainsi en évidence une « épine dorsale » de 21 combinaisons de traits que les poissons des océans du monde entier peuvent posséder.

Comment interpréter cette « épine dorsale » de 21 compositions en traits constatées chez les poissons récifaux à travers le globe ?

Parmi les espèces de poissons étudiées, nous retrouvons des poissons de grande ou de petite taille, certains se nourrissent d’algues et d’autres sont des prédateurs, évoluant dans les profondeurs ou ailleurs dans la colonne d’eau, vivant en bancs ou non, etc. Nous avons constaté qu’il existait 21 combinaisons différentes de ces traits que les poissons peuvent posséder à travers tous les océans. Ces informations nous indiquent qu’il existe des groupes fonctionnels principaux de poissons dans les récifs à travers le monde entier, qu’il s’agisse de récifs coralliens ou rocheux, d’océans dans les régions tropicales ou tempérées. Cette découverte est très importante, car elle nous apprend qu’une pression de sélection provient de l’environnement et crée des groupes fonctionnels similaires qui sont présents dans les océans bien que les habitats ne soient pas identiques (coralliens ou rocheux) ou que les espèces appartiennent à des familles différentes.

Pourquoi, d’après vous, ce type de recherche sur les traits fonctionnels n’a encore jamais été effectué auparavant pour les écosystèmes récifaux ?

La principale contrainte pourrait venir des données disponibles. Nous avons eu la chance de pouvoir utiliser le « Reef Life Survey », une étude globale sur la composition des communautés de poissons dans les récifs coralliens et les récifs rocheux du monde entier. Cette base de données a été minutieusement constituée au cours des dix dernières années et il est intéressant de noter qu’elle ne se limite pas seulement aux récifs coralliens mais inclut également des données sur les récifs rocheux dans des écosystèmes plus froids. Nous avons réussi à combiner ces données disponibles depuis peu avec les différents traits portés par les espèces. Une recherche similaire a été réalisée sur les communautés végétales et les communautés de mammifères, mais il s’agit des premiers travaux de ce type réalisés à l’échelle mondiale pour les communautés des récifs.

Que signifie cette découverte pour la conservation des poissons récifaux ?

Tout d’abord, les résultats que nous avons obtenus montrent que les espèces de poissons et leurs traits fonctionnels sont prévisibles sur la base des conditions environnementales de leur écosystème. Par conséquent, nous pouvons potentiellement anticiper la manière dont le fonctionnement de l’écosystème peut changer en même temps que l’environnement change, par exemple comment le changement climatique aura un impact sur les communautés de poissons, ou entraînera un changement chez celles-ci, dans le monde entier, car nous savons qu’il existe un lien.

Ensuite, nous pouvons potentiellement utiliser des stratégies de gestion et de conservation des récifs similaires à des endroits très divers tant que les conditions environnementales sont équivalentes. Ce point est très important, car il existe de nombreuses régions ayant des récifs coralliens mais disposant de peu de financements ou de capacités pour mettre en œuvre une gestion basée sur la science. Nous pourrions donc appliquer des stratégies de conservation efficaces en place dans certaines régions du monde à d’autres zones géographiques si les environnements sont similaires.

Comment ces nouveaux résultats vont-ils jouer un rôle dans les prochaines étapes du projet REEF-FUTURES ?     

Les prochaines étapes du projet REEF-FUTURES consistent à mettre au point des modèles statistiques qui mesurent très précisément la relation entre la composition en traits des poissons et les conditions environnementales. La création de tels modèles fournira la base pour prédire la manière dont les écosystèmes récifaux vont changer en se fondant sur les changements attendus dans les conditions environnementales, par exemple la température. Cela nous permettra également de mieux comprendre la manière exacte dont la composition en traits des communautés de poissons influence les fonctions écosystémiques. Nous savons, par exemple, que les poissons se nourrissant d’algues ont un effet positif sur le récif, car la quantité d’algues diminue et les coraux peuvent grandir. Cependant, des efforts supplémentaires doivent être déployés pour identifier les liens très spécifiques qui existent entre la taille, l’alimentation, les préférences d’habitat ou le comportement des espèces et l’écosystème corallien, ou pour connaître la quantité de poissons produite par l’écosystème. Le développement de ces connaissances permettra d’améliorer les prédictions concernant la manière dont un écosystème peut changer si les communautés de poissons changent.

En outre, nous allons identifier les endroits où nous observons des récifs en bonne santé et en bon état de fonctionnement, et lier ce bon état de santé à la composition et aux traits fonctionnels des communautés de poissons dans ces zones ainsi que les stratégies de conservation mises en place localement. Cela pourrait permettre de tirer des leçons de ces zones et d’identifier les meilleures pratiques, puis de les utiliser en tant qu’approches de référence pour des stratégies de gestion et de conservation à des endroits où le fonctionnement des récifs est perturbé.  

Selon vous, quelle est la valeur ajoutée d’une approche mondiale telle qu’utilisée dans le cadre du projet REEF-FUTURES et, de manière plus générale, de programmes de recherche internationaux tels que l’action conjointe BiodivERsA/Belmont Forum ?     

L’un des principaux avantages d’un tel programme international est qu’il réunit des experts du monde entier, dans le cas présent de l’Australie à la France en passant par les États-Unis et le Canada. Tel que nous l’avons déjà mentionné ici, nous avons pu accéder à une base de données mondiale. Toutefois, sans une équipe composée d’experts possédant une bonne connaissance de ces différentes régions, nous n’aurions pas pu mener une telle étude avec succès. Nous avions démarré le projet avec David Mouillot et Sébastien Villéger à Montpellier en France, puis nous avons pu agrandir notre équipe avec des personnes disposant de l’expertise locale nécessaire et venant du monde entier, afin de mieux développer cette étude. Il ne fait aucun doute que cette approche globale permet d’obtenir une compréhension complète du fonctionnement des récifs coralliens à travers les océans.             

Enfin, quelle est la valeur ajoutée de l’accompagnement et de l’implication de chercheurs en début de carrière comme vous ?

Le fait de pouvoir participer à REEF-FUTURES est une opportunité de recherche extraordinaire et cela m’a beaucoup aidé à avancer dans ma carrière. J’ai la chance de pouvoir travailler avec des personnes très reconnues dans ma discipline. J’ai également pu élargir mon réseau, travailler aux côtés des meilleurs scientifiques et rencontrer divers mentors qui m’ont appris de nouvelles choses. Je me suis également vu offrir des opportunités pour participer à de multiples nouveaux projets. REEF-FUTURES compte plusieurs chercheurs en début de carrière. La possibilité d’être encadré par de grands scientifiques et de réaliser des recherches de qualité est une chance extraordinaire pour nous tous.      

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