ICCARE : le programme de recherche de France 2030 consacré aux industries culturelles et créatives (ICC)

La stratégie nationale d’accélération « Industries culturelles et créatives » , dotée de 400 M€ sur la période 2021-2025, élaborée à l’issue d’une vaste consultation publique,  comprend « l’audiovisuel, le cinéma, le spectacle vivant dans toutes ses disciplines, la musique dans toutes ses composantes, les musées et les patrimoines, les arts visuels, le design, l’architecture, les métiers d’art, le jeu vidéo, le livre et la presse, ainsi que les secteurs connexes de la communication et de la mode pour le volet créatif de leur activité ».

Elle a pour objectif de répondre à six grands défis : l’accès au financement, l’accroissement de la concurrence, la transformation des modes de création, le bouleversement des modes de production et de diffusion, la diffusion de l’offre culturelle française à l’international, l’émergence d’entreprises culturelles et créatives sur tout le territoire.

Solveig Serre, co-pilote du programme, présente les grands enjeux d’un programme de recherche inédit, résolument pensé et construit « avec et pour les Industries culturelles et créatives ».

Pouvez-vous nous revenir sur le contexte à l’origine de ce programme adossé à la stratégie nationale sur les ICC ?

Solveig Serre : Le CNRS a été missionné par l’État pour piloter ce programme dont les objectifs ont été fixés dans une lettre de mission envoyée en mars 2022. L’objectif majeur était de créer une dynamique interdisciplinaire entre sciences humaines et sociales et sciences informatiques permettant de développer des recherches susceptibles de déboucher sur des applications innovantes pour les utilisateurs finaux que sont les ICC.

À compter de la réception de la lettre de mission, nous avons eu deux mois pour constituer un document de cadrage qui a été par la suite évalué favorablement par un jury international, moyennant quelques ajustements. Notre document de cadrage a été définitivement validé en juin 2023.

Le programme ICCARE constitue le volet « recherche » de la stratégie ICC, parmi d’autres actions phares que sont Compétences et métiers d’avenir (CMA), pôles territoriaux ICC ou la Grande Fabrique de l’image.

Nous sommes d’ailleurs fortement encouragés à établir des ponts entre toutes ces différentes actions, mais également entre les autres PEPR touchant à des domaines connexes dès lors que ceux-ci concernent des thématiques auxquelles nous ne pourrions pas répondre. Je pense notamment au PEPR Recyclage par exemple : pourquoi pas en lien avec la problématique de la recyclabilité du papier dans l’édition ? Il y a sûrement de nombreuses autres pistes de travail commun à découvrir.

Comment avez-vous travaillé pour répondre à la demande de l’État ?

S. S : Une des particularités de la lettre de mission de l’État, assez complexe pour les communautés SHS, était qu’il ne s’agissait pas ici de travailler « sur » les industries culturelles et créatives, mais de travailler étroitement en lien avec elles à des fins d’optimisation. Nous avons donc proposé un concept adapté du  programme « science avec et pour la société » (SAPS) : nous avons imaginé la « science avec et pour les industries culturelles et créatives » (SAPICC).

Pour Sylvie Retailleau, les PEPR sont l’occasion, pour l’enseignement supérieur et la recherche (ESR), de « jouer en mode équipe de France »  Notre stratégie a donc été d’oublier la structuration de l’ESR ( universités, structures de recherche, équipes au sein des laboratoires, etc) pour aller détecter individuellement, dans tout l’ESR, les chercheurs et enseignants-chercheurs compétentes et volontaires sur les objectifs du PEPR afin de les mettre en réseau, et de faire travailler ce réseau pendant les six ans de durée du projet.
Entre janvier et juin 2023, nous avons contacté un par un tous les vice-présidents recherche des grandes universités françaises ainsi que les directeurs des MSH, structures fédératives, etc. À ce jour, il ne nous reste que les établissements d’Outre-Mer à contacter, nous allons nous y atteler très prochainement. 

Pendant une à deux heures, en visio-conférence, nous avons présenté à chacun de ces VP les bénéfices du programme. À l’issue de l’entretien, nous leur remettions systématiquement un formulaire de remontée d’information individuel à relayer à leurs équipes. Ce travail a permis d’identifier les chercheurs et enseignants-chercheurs dont les travaux étaient liés aux objectifs du PEPR et qui étaient prêts à s’investir dans le programme.

De nombreuses universités sur le territoire se sont montrées extrêmement intéressées et volontaires.  David et moi tenions beaucoup à ce processus d’ouverture à l’ensemble de nos communautés.

Cette démarche a contribué à la création d’une cartographie nationale très fine des recherches en lien avec les ICC dans le champ de l’ESR, et elle nous a permis de construire un premier réseau de plus de sept cents chercheurs et enseignants chercheurs, destiné à s’élargir pendant toute la durée du programme. Les communautés informatiques ont répondu massivement et avec enthousiasme aux remontées d’informations : de l’IA dans la musique à la reconstitution virtuelle du geste dans les secteurs de la danse ou des métiers d’art, le numérique irrigue une majorité de secteurs créatifs et culturels, il impose également ce dialogue intersectoriel.

Ce travail préparatoire a été dans le même temps accompagné de nombreux échanges avec les acteurs de l’ESR et des ICC : Fabrice Casadebaig, le coordinateur de la stratégie nationale ICC, mais également des personnes qualifiées de l’ANR : Valérie Formentin, responsable du département SHS de l’ANR, Michel Isingrini, responsable SHS à la direction des grands programmes d’investissement de l’Etat, Arnaud Torres, directeur de la DGPIE.

Les industries culturelles et créatives concernent des secteurs très divers, comment avez-vous construit et organisé un programme de recherche capable d’appréhender une réalité si hétérogène et fragmentée ?

S. S : Le réseau que nous avons constitué à l’issue des remontées d’informations est réparti au prisme des grands secteurs industriels : audiovisuel, musique, édition, arts visuels, design, jeux vidéo, spectacle vivant, métiers d’art et de mode, musées et patrimoine. En plus de ces neuf grands secteurs, nous souhaitons intégrer une réflexion sur des secteurs dits « alternatifs », (arts de la table, haute gastronomie, luxe…) ou « émergents ».

Chacune de ces dix grandes familles sera dirigée par trois « facilitateurs » : un chercheur en SHS, un chercheur en informatique et un professionnel.

Nous avons ajouté un comité d’éthique, un COMETH, dans le contrat de gouvernance dont le but est de réfléchir en continu à nos pratiques, à des notions liées à l’impact environnemental des secteurs. Le comité, constitué de philosophes et d’industriels rendra un livre blanc à l’issue du programme.

Pour appréhender cette diversité, notre projet de gouvernance et d’animation est très important, 12 M€, soit quasiment la moitié du budget total du programme. De même, notre cahier des charges est très précis et calibré. Tous les facilitateurs devront s’employer à un certain nombre de réunions annuelles et de missions scientifiques. Nous souhaitions les alléger au maximum des tâches liées aux fonctions support (administratif, communication, ordres de mission, etc.) pour leur permettre de se concentrer entièrement sur la science.

Enfin, au travers de nos discussions avec les industriels, nous avons identifié cinq grands défis interdépendants et intersectoriels qui sont déclinés en six projets ciblés.