L’ANR au chevet de la médecine personnalisée

Si la médecine moderne prend déjà en compte les spécificités des patients, la médecine personnalisée promet de pousser ce principe bien plus loin. Elle vise à offrir des diagnostics et des traitements sur-mesure pour chacun, grâce à une connaissance fine de leur parcours de santé, mais aussi de leur mode de vie ou encore de leur génome. La médecine personnalisée s’applique également à la prévention, en particulier pour lutter contre les maladies chroniques. « La médecine personnalisée adapte le plus précisément possible le traitement de chaque patient en fonction de sa maladie et du terrain sur lequel elle survient » explique Éric Solary, hématologue et président du conseil scientifique de la fondation ARC pour la recherche sur le cancer. Cette approche est portée par l’explosion du big data et des nouvelles technologies, qui démultiplient les données disponibles et en tirent toujours plus d’informations. Un mouvement renforcé par les avancées constantes de l’études des biomarqueurs, de la génomique ou encore de l’imagerie médicale. « En France, nous avons par exemple bénéficié de la diffusion des tests génétiques réalisés sur les tumeurs et chez les patients par vingt-huit centres labellisés, couvrant tout le territoire. » poursuit Éric Solary.

Afin de se démocratiser, la médecine personnalisée a encore besoin de soutien pour transférer les résultats obtenus en laboratoire à la pratique clinique. Mais aussi pour établir une compréhension commune concernant la valeur coût-bénéfice pour le système de santé qui prend en compte la société mais aussi, individuellement, le patient et le citoyen. Elle fait également appel à de nombreux domaines, comme la science des données et les sciences humaines et sociales, qui sont parfois éloignés de la médecine en tant que telle. Des moyens doivent donc être mis à disposition pour favoriser les approches pluri et transdisciplinaires. La Commission européenne soutient la recherche en médecine personnalisée depuis son septième programme-cadre (FP7, 2007-2013). Son programme Horizon 2020 était d’ailleurs accompagné d’une enveloppe de plus de trois milliards d’euros pour de tels projets. La Commission européenne souhaite ainsi renforcer les activités de recherche et d’innovation, tout en réduisant la duplication et la fragmentation des investissements, en s’inscrivant dans les objectifs de développement durable des Nations Unies et en informant les décideurs, afin de les éclairer dans l’élaboration et la mise en place de nouvelles politiques et régulations.

C’est dans ce contexte que la Commission européenne a impulsé la création, en 2016, du Consortium international pour la médecine personnalisée (ICPerMed). Ce consortium regroupe une quarantaine de ministères et d’agences de financement de la recherche, dont l’ANR, impliquée à plusieurs niveaux. L’Agence est ainsi l’un des quatre membres du secrétariat de l’ICPerMed soutenant les activités du consortium avec un financement de la Commission européenne. Elle est aussi impliquée dans le projet EU-Africa PerMed, qui promeut les synergies entre l’Union européenne et l’Union africaine sur les questions de médecine personnalisée. « A noter que l’ICPerMed ne dispose pas de fonds propres. Il s’agit d’une plateforme stratégique pour organiser une recherche internationale de haut niveau, précise Monika Frenzel, coordinatrice internationale du département biologie/santé de l’ANR. Cette réflexion est organisée autour de quatre groupes de travail, dont un, concernant l’implémentation de la médecine personnalisée dans les systèmes de santé, est sous la responsabilité de l’ANR. ».

L’ANR préside également depuis 2018 ERA PerMed, un outil de financement de la recherche cofinancé par la Commission européenne qui soutient déjà quatre-vingt-sept projets. Trente-huit de ces projets, réunissant quarante-neuf équipes françaises, sont directement financés par l’ANR avec un budget d’environ onze millions d’euros. Poursuivant sur sa lancée, ERA PerMed a proposé, en décembre 2021, un cinquième appel transnational avec un budget disponible de trente millions d’euros. Ce dernier appel à projets 2022 est coordonné par l’ANR.

Plusieurs projets d’ERA PerMed, coordonnés par des chercheurs français, concernent l’oncologie. Il s’agit en effet de l’un des pans de la médecine les plus demandeurs en solutions personnalisées : chaque cancer est un cas spécifique pour lequel il est nécessaire d’ajuster très précisément les soins. « La recherche et les traitements contre le cancer ont permis de mieux comprendre la médecine personnalisée et en ont souligné l’importance, appuie Éric Solary. La médecine personnalisée sauve déjà des patients et améliore leur qualité de vie après traitement, mais une fois que cette approche sera véritablement mise en pratique, elle bénéficiera à la lutte contre toutes sortes de pathologies. »

Le projet PEVOdata combine immunothérapie et traitement épigénétique contre les rechutes de cancers de type carcinome épidermoïde. La construction de bases de données à partir de données moléculaires et de l’historique médical des patients aide au développement des standards permettant d’adapter les stratégies thérapeutiques aux besoins des malades.

Toujours dans le domaine de l’oncologie, le projet PARIS s’attaque à la résistance à la chimiothérapie des tumeurs du cancer des ovaires et PerPlanRT aide à la prise de décision dans la radiothérapie contre le cancer de la prostate. PerBrain vise de son côté à renforcer le diagnostic et le pronostic des troubles de la conscience liés à des traumatismes crâniens, tandis que PerMedSchiz identifie les patients qui risquent de ne pas répondre aux traitements les plus répandus contre la schizophrénie.

On retrouve également dans les projets coordonnés par des chercheurs français POC4Allergies, consacré au diagnostic d’allergies aux noisettes et aux arachides, ainsi qu’AGORA, qui affine les prédictions de prise de greffes de reins et des besoins en immunosuppresseurs. Enfin, i-RECORDS vise à améliorer les dosages de corticostéroïdes contre le sepsis et le Covid-19.

Plus généralement, l’intérêt institutionnel en France pour la médecine personnalisée s’est manifesté dès le plan France médecine génomique 2025, lancé en 2015, qui vise par exemple à rendre plus accessible la médecine génomique sur l’ensemble du territoire. La réforme Ma Santé 2022, portée en 2019, a de son côté favorisé le transfert des résultats de recherche et l’utilisation de données médicales.

« La France a besoin de se préparer à l’emploi de grandes bases de données cliniques, sachant que de nombreuses informations et dossiers n’ont pas encore été numérisés, souligne Monika Frenzel. Il faut pouvoir y intégrer des images, par exemple issues d’une IRM. Cela demande des infrastructures et nécessite de numériser des dossiers manuscrits, mais également de réguler les questions de consentement des patients à la collecte et à l’utilisation de leurs données médicales. Nous aurons aussi besoin d’outils d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique pour mieux les exploiter. C’est d’autant plus important que la médecine personnalisée est particulièrement adaptée aux pays qui, comme la France, ont une population diverse. »

En combinant et en analysant différentes informations sur la santé et le mode de vie, le risque individuel de développer une maladie peut être mieux prédit, la maladie détectée plus tôt et les interventions les plus efficaces déterminées pour aider à améliorer notre santé. Plutôt que de gérer une maladie, la médecine personnalisée place le patient au centre de son propre parcours de santé.

En savoir plus

“Prélude au futur de la médecine” : une conférence ICPerMed les 5 et 6 octobre 2022 à Paris