L’Asie du Sud-Est face aux changements globaux et à l’émergence de maladies infectieuses

L’émergence accrue d’agents infectieux au sein des populations humaines et la crise liée à la pandémie de Covid-19 soulignent la nécessité de mieux comprendre les facteurs favorisant l’émergence des zoonoses (maladies dont l’agent – bactérie, virus ou parasite – peut être transmis entre l’animal et l’humain) et des maladies infectieuses vectorielles telle que le Chikungunya. C’est l’objectif du projet ANR FutureHealthSEA1 coordonné par Serge Morand, directeur de recherche au CNRS et au CIRAD. Les scientifiques ont développé des modèles rétrospectif de la dynamique des épidémies à l’échelle internationale et en Asie du Sud-Est, en tenant compte notamment des facteurs climatiques et de changements d’usage des sols.

Pour cela, ils ont collecté des données internationales disponibles portant sur l’incidence des maladies infectieuses chez les humains et les animaux, les changements d’usage des sols, le climat, la biodiversité et l’élevage ces dernières décennies, ainsi qu’un corpus de données nationales issues de la surveillance hospitalière sur trois maladies d’importance grâce à une collaboration avec le ministère thaïlandais de la Santé. « Il s’agit de la dengue transmise par les moustiques, de la leptospirose dont l’agent est une bactérie environnementale avec pour principaux réservoirs les rongeurs, et du typhus des broussailles dont l’agent est une rickettsie (bactérie) avec pour vecteurs et réservoirs des acariens » explique Serge Morand. Des corpus textuels concernant les politiques publiques et les instruments juridiques ont également été constitués. Ce travail de modélisation visait à mieux comprendre les dynamiques épidémiques dans le temps et l’espace, au regard de cette interaction de facteurs socio-environnementaux.

10 ans de recherches collaboratives à Saen Thong

Le projet s’appuie sur l’expérience acquise au sein de deux projets ANR et sur les collaborations nouées depuis 2012 avec les scientifiques, les communautés et les administrations locales de Saen Thong en Thaïlande. « Face à une demande pour étudier différentes problématiques locales comme l’exposition des animaux de rente aux pesticides, il était nécessaire de mobiliser des compétences en sciences de l’écologie, en sciences de la santé humaine et animale et en sciences sociales. Cette interdisciplinarité fut selon moi l’un des principaux succès du projet qui s’est concrétisé par la création d’un observatoire socio-écologique de la biodiversité et de la santé à Saen Thong ». Celui-ci rassemble des projets de recherche menés selon une approche One Health.

À l’étude des facteurs d’émergence des maladies infectieuses

À partir des données du réseau épidémiologique mondial des maladies infectieuses GIDEON, l’équipe observe une augmentation des événements épidémiques infectieux au sein des populations humaines à l’échelle internationale ces dernières décennies. « Les systèmes de surveillance ont augmenté en capacité de détection mais cela n’explique pas cette augmentation » souligne Serge Morand.

« Au niveau mondial, nos travaux montrent une corrélation entre l’accroissement du bétail d’élevage et l’augmentation des épidémies de maladies infectieuses zoonotiques et vectorielles ; et entre la déforestation ou l’extension des plantations de palmiers à huile et l’augmentation des épidémies ces dernières décennies. À noter que les pays ayant le plus faible taux de perte de biodiversité ont également le plus faible taux d’épidémies, ce qui suggère un effet protecteur de la biodiversité sur le risque épidémique. En Thaïlande, les plantations commerciales semblent favoriser le risque épidémique de zoonoses et de maladies vectorielles telle que la dengue. La fragmentation des paysages et la variabilité climatique avec les événements El Niño/La Niña, semblent favoriser l’expansion du typhus des broussailles, tandis que la densité des bovins accroît le risque de leptospirose » poursuit Serge Morand.

Préserver la santé des écosystèmes, animale et humaine

L’équipe souligne l’importance de préserver les écosystèmes et les services qu’ils fournissent pour réduire les risques d’émergence. Elle souligne de plus le rôle des observatoires pour comprendre les dynamiques à l’œuvre dans l’évolution des risques sanitaires, écologiques et environnementaux et pour mettre en place des solutions fondées sur la nature. A ce titre, l’association des acteurs de la santé et de la biodiversité sur le terrain est essentielle. Les recherches se poursuivront au sein du programme de recherche PREZODE de France 2030.