Maladies rares – “comment amener aujourd’hui la preuve de concept jusqu’au lit du patient ?”

Comment la génétique, en particulier le séquençage à haut débit, a-t-elle contribué à améliorer le diagnostic des maladies rares ? Comment la recherche se structure-t-elle dans ce domaine ?

Véronique Paquis-Flucklinger : Une maladie est dite rare lorsqu’elle touche moins d’une personne sur 2000. Ce qui caractérise aussi les maladies rares, c’est l’impasse diagnostique. Quatre-vingt pour cent d’entre elles sont génétiques et si l’on n’identifie pas le gène en cause, ni diagnostic ni traitements ne sont envisageables pour les personnes atteintes. Je travaille depuis de nombreuses années sur les maladies mitochondriales, des maladies métaboliques rares liées à un déficit énergétique, pour lesquelles il n’existe à ce jour pas de traitement. Ces maladies sont très hétérogènes, elles peuvent toucher tous les organes et se manifester à tout âge : chez l’enfant à la naissance mais aussi chez l’adulte. Dans le centre de référence du CHU de Nice (CALISSSON), nous recevons beaucoup de patients suspects de maladie mitochondriale. Mais le diagnostic de certitude nécessite l’identification du gène en cause. C’est en facilitant l’identification des gènes responsables que le séquençage haut débit a révolutionné le diagnostic des maladies rares. Aujourd’hui, il est utilisé en routine dans les laboratoires. Mais lorsque l’on a un gène candidat qui n’a jamais été décrit comme étant responsable d’une maladie rare, il nous faut basculer sur le côté recherche dans des laboratoires Inserm, CNRS..; d’abord pour confirmer que ce gène est bien responsable de la pathologie ; et puis, quand sa fonction n’est pas connue, pour comprendre son rôle et identifier les mécanismes impliqués en utilisant des modèles murins ou des modèles cellulaires du type cellules souches pluripotentes induites (iPSC), par exemple.  Cette étape de compréhension des mécanismes est indispensable si l’on veut revenir vers le patient avec des solutions thérapeutiques.

Justement, vous avez travaillé sur la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou Maladie de Charcot

V. P – F. : Nous avons étudié une grande famille avec atteinte musculaire mitochondriale. Mais certains patients présentaient aussi des signes de maladie de Charcot (ou SLA), une maladie dégénérative très grave qui entraîne la mort des neurones chargés de la motricité. Grâce au séquençage haut débit, nous avons identifié le gène en cause dans cette famille et montré qu’il a un rôle majeur dans la mitochondrie. Nous nous sommes très vite rendu compte que ce gène était aussi impliqué dans des SLA familiales. La suite du travail dans l’équipe de recherche que je dirige à l’IRCAN (Institut de Recherche sur le Cancer et le Vieillissement) a permis de générer un modèle murin, qui reproduit les atteintes présentées par les patients, et d’identifier une molécule repositionnable dont l’effet thérapeutique est actuellement testé chez ces souris.  Depuis très longtemps, les scientifiques qui travaillaient sur la maladie de Charcot cherchaient à identifier un gène mitochondrial responsable de cette pathologie afin de comprendre comment un déficit énergétique pouvait entraîner la mort des motoneurones. Ce travail illustre le fait que travailler sur une maladie rare peut permettre d’obtenir des informations extrêmement intéressantes sur une autre pathologie. Pour résumer, travailler dans le domaine des maladies rares, c’est souvent identifier un nouveau gène chez des patients puis basculer vers une recherche plus fondamentale pour comprendre les mécanismes et en déduire de nouvelles stratégies thérapeutiques, qui seront testées sur des modèles murins avant de revenir vers les malades dans le cadre d’essais cliniques. Cette démarche démontre la complémentarité qui doit exister entre recherche et offre de soins.

Quelles ont été les principales avancées réalisées depuis le premier Plan Maladies Rares ? Comment la France s’est positionnée dans ce domaine en Europe ?

V. P – F. : Il y a un vrai leadership français qui s’est installé et renforcé depuis le premier plan : côté prise en charge des patients grâce au maillage territorial réalisé par les différents PNMRs et côté recherche, en lien avec des instruments de financements européens – comme l’EJ-PRD (European Joint Program for Rare Diseases) qui a évolué vers le Partnership ERDERA, tous deux pilotés par l’Inserm, par exemple. Les trois plans précédents ont permis des avancées majeures sur des maladies dites, à l’époque, orphelines. Le premier (PNMR1) a financé la création des centres de référence maladies rares, c’est-à-dire des endroits concentrant les expertises pour optimiser le diagnostic et la prise en charge des patients. Le PNMR2 a créé les filières de santé maladies rares qui jouent un rôle de coordination entre différents centres concernés par une thématique commune – maladies cutanées, maladies métaboliques, maladies neuromusculaires, etc. Le PNMR2 a été aussi extrêmement important pour la recherche et pour la coopération internationale, principalement européenne. De par le nombre très restreint de patients pour certaines maladies rares, la recherche et les essais cliniques doivent s’envisager au moins à l’échelle européenne.

Le PNMR3, lui, avait deux priorités : lutter contre l’errance et l’impasse diagnostiques, et structurer les bases de données. L’errance diagnostique se définit par l’intervalle de temps entre les premiers symptômes et le moment où le patient a un diagnostic précis. L’impasse correspond à l’impossibilité à poser un diagnostic précis après avoir mis en oeuvre l’ensemble des investigations possibles en l’état de l’art. Malgré les progrès réalisés, un patient sur deux n’a toujours pas de diagnostic et cette problématique reste d’actualité. La deuxième grande priorité du PNMR3, c’était la structuration des bases de données qui a donné lieu à un PPR (Programme Prioritaire de Recherche) pour la création de bases de données « recherche » répondant à des critères très spécifiques, par exemple en termes de contrôle qualité ; la Banque Nationale de Données Maladies Rares (BNDMR), créée dans le cadre du PNMR2, ayant pour objectif de recenser l’ensemble des patients atteints de maladie rare dans le cadre du soin. Le PNMR3 a également permis la création de plateformes d’expertise loco-régionales dont la mission est de coordonner les actions maladies rares en tenant compte des spécificités territoriales. Une des missions de ces plateformes est d’optimiser la lisibilité des centres maladies rares et l’information vers les professionnels de santé. Avec 7 000 à 8 000 maladies rares différentes, les médecins de ville, mais aussi les médecins hospitaliers non experts ne connaissent pas ces maladies. Ce n’est que très récemment que la définition d’une maladie rare, de l’errance et de l’impasse diagnostiques sont devenus des items obligatoires pour les étudiants en médecine. Les plateformes maladies rares doivent représenter un guichet pour orienter tous les professionnels de santé qui se posent des questions sur ces pathologies.

Vous êtes aussi responsable de la Plateforme d’Expertise Maladies Rares Nice-Corse (Resilience). Quelles sont les initiatives spécifiques entreprises par cette plateforme pour accélérer et améliorer le processus de diagnostic ? Comment contribue-t-elle à la prise en charge des maladies rares ?

V. P – F. : Un des premiers objectifs de Resilience est l’amélioration du lien entre la médecine de ville et l’hôpital. Dans le sens ville – hôpital, l’objectif est de lutter contre l’errance diagnostique.  Les médecins de ville ou les paramédicaux qui voient un patient potentiellement atteint d’une maladie rare ne savent souvent pas où s’adresser, et connaissent mal l’existence des centres de référence. Notre ambition est de donner une lisibilité accrue aux expertises locales et régionales sur les maladies rares afin de faciliter l’orientation des patients. Le sens hôpital – ville est quant à lui fondamental pour optimiser leur parcours de vie. Une fois le diagnostic posé, les malades doivent pouvoir bénéficier d’un suivi optimisé dans le cadre de leur retour à domicile. Un exemple concret des actions menées par Resilience dans ce domaine concerne la création d’un parcours maladie rare pédiatrique en collaboration avec le DAC (Dispositif d’Appui à la Coordination) C3S. En lien avec les ARS, les DACs sont spécialisés dans l’accompagnement des situations individuelles complexes et dans l’accompagnement des professionnels impliqués dans la prise en charge de ces patients, y compris sur le plan social. Ces structures s’occupent par exemple de situations complexes chez des patients âgés. Nous avons mis en place un projet pilote pour créer un parcours de soins maladie rare pédiatrique pour accompagner les petits patients et leurs familles, dans tous les aspects de leur vie. Si ce projet fonctionne, nous espérons l’étendre aux adultes atteints de maladie rare.

Alors que plus de 95% des maladies rares n’ont toujours pas de traitement curatif, quels progrès peut-on espérer dans les prochaines années ? Quelles sont les ambitions concrètes du PNMR4 ?

V. P – F. : Il est nécessaire de maintenir une recherche fondamentale très forte qui est garante de la qualité de la recherche clinique. Le développement des thérapies passe par la compréhension des mécanismes responsables. Les progrès thérapeutiques réalisés dans le domaine de la mucoviscidose ou de l’amyotrophie spinale en sont la démonstration. L’identification du gène responsable étant le préalable indispensable, il faut une accélération du diagnostic génétique (séquençage d’exomes – une petite partie du génome, qui concentre 85% des mutations responsables de maladies génétiques – et de génomes des patients). Il faut s’intéresser à des maladies qui répondent à des mécanismes particulièrement complexes (plusieurs gènes impliqués, par exemple). Les progrès passeront aussi par le développement de nouveaux modèles cellulaires ou animaux qui permettront de tester les thérapies identifiées avant d’envisager des essais cliniques chez l’homme.

L’innovation thérapeutique est une des priorités du PNMR4 porté par le Pr Agnès Linglart, Cheffe du service d’Endocrinologie et diabète de l’enfant à l’Hôpital Bicêtre, pour le versant soins et par le Pr Guillaume Canaud, de l’unité de Médecine translationnelle et thérapies ciblées de l’hôpital Necker – Enfants malades, pour le versant recherche. Un des 4 axes du PNMR4 s’intitule « Accès au traitement et aux innovations ». Thérapie génique, repositionnement de médicaments… toutes les stratégies doivent être envisagées en fonction des maladies et des patients en sachant que certaines pathologies devront être traitées avec des thérapies combinées (pharmacologique et thérapie génique, par exemple). Les actions du PNMR4 devront s’articuler avec des stratégies nationales, telles que celle sur la biothérapie et les bioproductions qui a labellisé le biocluster Genother dans le cadre de France 2030, et des actions européennes dans le cadre du partnership ERDERA, par exemple. Si les progrès réalisés vont conduire à un nombre croissant de traitements à proposer, permettre aux patients d’en bénéficier rapidement se heurte à la réalité du marché, notamment pour les maladies ultra rares. Comment inciter les industriels à investir et à financer des essais cliniques qui concerneront un tout petit nombre de patients ? La solution passera peut-être par des partenariats public-privé que le PNMR4 devra étudier.

Etes-vous optimiste pour la recherche sur les maladies rares ?

V. P – F. : En tant que chargée de mission pour le MESR, mon travail consiste à participer à l’élaboration de la politique de recherche sur les maladies rares, suivre les plans, veiller à la place de la recherche dans la labellisation des centres de référence… L’intérêt d’avoir aussi la casquette de médecin hospitalier est de constater « sur le terrain » comment les progrès de la recherche améliorent la prise en charge des patients. Un des points forts des PNMRs est leur « portage » partagé par les ministères de la santé et de la recherche, pour assurer un continuum entre soin et recherche, en collaboration permanente avec les associations de patients. Les avancées de ces dernières années, en termes de diagnostic ou de preuve de concept concernant les pistes thérapeutiques, ont été considérables. En se basant sur le maillage d’expertises mis en place grâce aux différents PNMRs, sur les innovations technologiques et sur la qualité des équipes de recherche françaises, on ne peut qu’être optimiste pour la suite. Restent à trouver les moyens pour amener le plus rapidement possible les preuves de concept jusqu’au lit du patient.