Paludisme : des pistes pour lutter contre un parasite (et un moustique) de plus en plus résistant

Malgré les efforts entrepris ces dernières décennies, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les chiffres de l’incidence et de la mortalité palustres stagnent voire repartent à la hausse. Quelle est la situation actuelle concernant le paludisme dans le monde ?

Olivier Silvie : Le paludisme, malaria, ou fièvre des marais est une maladie infectieuse potentiellement mortelle transmise par une piqûre de moustiques femelles infectées par des parasites du genre Plasmodium qui appartiennent tous au genre Anopheles. Plasmodium falciparum est la principale espèce infectant l’homme – et la plus virulente – avec 97% des cas, suivie de Plasmodium vivax avec 3% des cas. D’après le dernier rapport de l’Organisation mondiale de la santé, publié en novembre 2023, 249 millions de personnes ont été infectées en 2022. C chiffre est stable voire en légère augmentation : c’est plus qu’en 2015, par exemple, avec 231 millions de cas. On compte 85 pays d’endémie dont quatre pays africains qui concentrent plus de la moitié des cas : au Nigeria, en République Démocratique du Congo, en Ouganda, et au Mozambique. Au global, l’Afrique concentre à elle seule 94% des cas. En 2022, la mortalité était de 608 000, contre 586 000 en 2015. 76% sont des enfants de moins de cinq ans. On parle aussi de paludisme d’importation ; en France, cela représente environ 5 000 cas estimés par an, essentiellement au retour d’Afrique. Si la situation est meilleure qu’au début des années 2000, les progrès dans la lutte mondiale contre le paludisme ont marqué le pas. Et nous nous éloignons des objectifs de la communauté internationale de réduire entre 2015 et 2025 de 75% l’incidence et la mortalité du paludisme ; de 90% en 2030.

Comment lutte-t-on contre l’infection ? Existe-t-il des moyens préventifs ou des traitements ?

O. S. : La lutte contre le paludisme repose sur trois piliers : d’abord, le diagnostic et le traitement des cas. Ces traitements, en première ligne, sont des dérivés de l’artémisinine. Ils sont toujours associés à un deuxième antipaludique d’action plus longue. Il existe également des traitements médicamenteux prophylactiques, en prévention, pour les voyageurs, ou des traitements intermittents chez la femme enceinte et chez les enfants. Il faut toutefois souligner le cas particulier du paludisme à P. vivax dont le traitement par la Primaquine permet d’éliminer les formes dormantes hépatiques mais reste toxique. Le second pilier, c’est la lutte vectorielle, surtout contre les moustiques adultes mais aussi les stades larvaires. La prévention des piqûres de moustiques grâce à des moustiquaires imprégnées d’insecticides est efficace ; et enfin le troisième pilier est la vaccination. Aujourd’hui seuls deux vaccins ont été approuvés par l’OMS, RTS,S/AS01 et R21. Mais leur efficacité reste suboptimale, c’est-à-dire située dans une fourchette basse, de 35 à 75%.

Comment en êtes-vous venu à mener des recherches sur le paludisme ?

O. S. : Je suis médecin de formation, avec une spécialisation en biologie médicale. J’ai toujours voulu faire de la recherche. Lors de mon internat, j’ai eu la chance d’exercer comme interne dans des laboratoires de parasitologie-mycologie à l’hôpital Saint-Louis et à la Pitié-Salpêtrière. J’y ai découvert le volet diagnostique du paludisme et me suis intéressé à cette maladie. J’ai eu l’opportunité de rejoindre le laboratoire du Pr Dominique Mazier, désormais professeure émérite, qui travaille toujours dans mon équipe et est encore impliquée dans certains projets. Dans son unité Inserm Immunobiologie cellulaire et moléculaire des infections parasitaires à la Pitié-Salpêtrière, j’ai travaillé sur l’infection du foie par Plasmodium, dans le cadre d’un DEA puis d’une thèse de sciences. J’ai alors complètement bifurqué vers une carrière de recherche et je suis parti en postdoc en Allemagne pour me former à la manipulation génétique du parasite. De retour en France, j’ai intégré l’Inserm et monté ma propre équipe de recherche. Je continue aujourd’hui à travailler sur l’infection du foie car je suis persuadé que c’est une cible idéale pour le développement de nouvelles stratégies préventives, notamment vaccinales.

Justement, comment le parasite infecte-t-il les cellules humaines ?

O. S. : Le parasite est transmis par un moustique sous la forme de sporozoïtes*, injectés dans la peau lors de la piqûre. Les sporozoïtes migrent dans la peau puis entrent dans la circulation sanguine, et sont transportés jusqu’au foie où ils infectent les hépatocytes, les principales cellules du foie. Ils s’y multiplient jusqu’à libérer des milliers de mérozoïtes** qui vont alors infecter les globules rouges du sang. La phase d’infection du foie est caractérisée par un faible nombre de cellules infectées, probablement moins d’une centaine, et est totalement asymptomatique. La phase sanguine est, elle, symptomatique : la multiplication exponentielle du parasite dans le sang est rapidement responsable de fièvre et autres symptômes pseudo-grippaux : maux de tête, frissons, sueurs, douleurs abdominales…

Si ces symptômes sont peu spécifiques, ils imposent un diagnostic et un traitement rapides car la maladie peut évoluer vers des complications potentiellement mortelles comme le neuropaludisme, une anémie sévère, ou un paludisme gestationnel chez la femme enceinte. Ces complications sont notamment liées à la capacité des globules rouges parasités à se coller aux parois des vaisseaux sanguins dans les organes, notamment le cerveau et le placenta. Si les mécanismes d’infection des globules rouges ont été assez bien caractérisés, y compris au niveau moléculaire, les mécanismes d’infection des cellules du foie par les sporozoïtes de Plasmodium, les formes transmises par le moustique vecteur, restent mal compris. Des protéines sécrétées par le parasite sont notamment impliquées dans la formation d’une structure particulière appelée jonction mobile à travers laquelle le parasite glisse pour pénétrer dans sa cellule cible en formant un sac membranaire, la vacuole parasitophore, où il va pouvoir se développer et se multiplier.

Pourquoi est-ce crucial de comprendre ces mécanismes pour le développement de futurs traitements et de vaccins ?

O. S. : Nos recherches visent à identifier les protéines des sporozoïtes impliquées à une étape précoce de reconnaissance de récepteurs des cellules, juste avant la formation de la vacuole. Nous espérons qu’en bloquant ces interactions moléculaires, par exemple avec des anticorps induits par vaccination, il sera possible d’empêcher l’infection des cellules du foie et ainsi prévenir le paludisme. Pour de multiples raisons, le développement de vaccins contre le paludisme s’avère beaucoup plus difficile que pour un virus comme le SARS-CoV-2. En cause notamment : la complexité du parasite qui contient plus de 5000 protéines différentes, certaines étant exprimées à des stades spécifiques du cycle de vie du parasite. Dès que SARS-CoV-2 a pu être séquencé, on a identifié que c’était la protéine spike qui lui permettait d’entrer et de se fixer dans les cellules. On savait même quelle région de la protéine cibler pour produire des anticorps et développer des vaccins.

Ces connaissances, nous ne les avons pas encore sur le Plasmodium. D’où la nécessité de poursuivre des travaux de recherche fondamentale. Et puis, la sélection des meilleures de ces milliers de cibles n’est pas simple. Le parasite co-évolue avec l’homme depuis des dizaines de milliers d’années, et existe sous la forme d’une quasi-infinité de variants génétiquement distincts. Notre stratégie est d’identifier les protéines essentielles à l’infection du foie et présentant un faible niveau de variabilité génétique.

Dans le cadre du projet ANR MALINV, vous avez donc travaillé sur l’invasion du foie au cours du paludisme. Pourquoi ces voies d’entrée par le foie sont-elles si complexes à appréhender ?

O. S. : Les obstacles sont principalement techniques. D’une part, les modèles d’infection du moustique à l’homme sont compliqués à manipuler. Dans les premières étapes d’infection, on ne peut pas cultiver les sporozoïdes in vitro. Nous sommes donc obligés de passer par un insectarium, où l’on fait un élevage de moustiques infectés de manière expérimentale par le parasite. Celui-ci met deux à trois semaines pour coloniser les glandes salivaires du moustique. Ensuite, il faut disséquer ces dernières pour récupérer les parasites et étudier le mécanisme d’infection notamment dans des cultures cellulaires d’hépatocytes. En fait, nous sommes extrêmement limités en quantité de matériel. Et tout est manuel : il n’existe pas de machine pour ce type de manipulation. Le deuxième élément, c’est que les hépatocytes humains sont eux aussi difficiles d’accès. Enfin, chez l’homme, l’infection du foie est totalement asymptomatique. Nous n’avons donc pas accès aux conditions naturelles pour pouvoir étudier des individus qui ont une infection en cours au niveau du foie.

Vous avez identifié au cours de ce projet une nouvelle cible, une protéine de Plasmodium à domaine propeller pour prévenir l’infection du foie au cours du paludisme. Pouvez-vous nous en dire plus ?

O. S. : En combinant différentes approches, comme l’étude du protéome, c’est-à-dire l’ensemble des protéines d’un échantillon biologique, par spectrométrie de masse, et des approches génétiques pour caractériser la fonction de gènes du parasite, nous avons pu identifier une famille de protéines jouant un rôle clef à une étape précoce de l’infection des cellules. Parmi elles, une protéine appelée B9, qui possède un domaine particulier appelé propeller, dont on a pu montrer notamment par les approches génétiques qu’elle est essentielle à l’entrée du parasite dans le foie.

Dans le cadre du projet ANR MALPROP, qui s’inscrit dans la suite de MALINV, nous allons tenter de valider cette cible dans des modèles pré-cliniques. L’objectif de MALPROP est de tester si la protéine B9 peut constituer une cible intéressante pour des anticorps neutralisants, c’est-à-dire pour un vaccin. Il est nécessaire d’utiliser des modèles pré-cliniques, en cultures cellulaires ou des modèles murins, pour apporter des preuves initiales qu’en effet cette protéine est une bonne cible. Ce n’est qu’après avoir démontré qu’on peut bloquer l’infection en induisant des réponses anticorps contre cette protéine qu’on pourra envisager d’en faire un nouveau vaccin. Nous devrions avoir des réponses d’ici la fin du projet, d’ici un an. Par ailleurs, B9 est une cible potentielle mais nous travaillons également en parallèle sur d’autres cibles pour bloquer l’infection.

On observe depuis plusieurs années une résistance aux médicaments antipaludiques chez l’humain et les moustiques semblent de moins en moins sensibles aux insecticides. Faut-il combattre le parasite chez l’humain ou chez son vecteur, le moustique, en modifiant génétiquement les espèces vectrices par exemple ?

O. S. : Libérer des moustiques génétiquement modifiés pose d’énormes questions éthiques et environnementales, notamment parce qu’il y a un risque de diffusion des transgènes en dehors des espèces ciblées. Et cela pourrait avoir des conséquences en cascade dramatiques sur les écosystèmes. La question de la faisabilité et de l’efficacité se pose aussi : remplacer des populations de moustiques, sur le terrain et dans des régions immenses, c’est très compliqué. Toutefois, la lutte vectorielle, contre les moustiques, reste un pilier essentiel du contrôle du paludisme. On voit bien que la distribution massive de moustiquaires imprégnées d’insecticide a permis de réduire largement dans les années 2010 l’incidence du paludisme. Le problème, c’est que lorsque l’on arrête ces mesures, les infections repartent.

Il faut aussi être lucide : le parasite a co-évolué avec l’homme ; il a développé des mécanismes d’évasion et d’échappement des réponses immunitaires de l’hôte. Il y a désormais une course permanente pour trouver de nouvelles cibles, les bonnes combinaisons, face à des parasites et des vecteurs de plus en plus résistants. A l’exemple du Sida et de la trithérapie, on peut imaginer cibler le parasite à plusieurs niveaux, à différents stades de l’infection, combiner dans un seul vaccin plusieurs antigènes où le type de réponse immunitaire que l’on souhaite déclencher va être différent en fonction des cibles, en associant une protéine recombinante et puis un vaccin ARN par exemple.

A l’occasion de la journée mondiale du paludisme, quels messages souhaiteriez-vous faire passer ?

O. S. : Le paludisme reste un fléau à l’échelle mondiale. Toutefois, la recherche progresse et des vaccins sont maintenant proposés, même si leur efficacité ne sera probablement pas suffisante pour enrayer la transmission du paludisme. Il sera important de suivre dans les années qui viennent l’impact de la vaccination de routine, avec les deux vaccins autorisés par l’OMS, dans des pays qui l’ont mise en place comme le Cameroun. Il est plus réaliste de parler de contrôle et de réduction de la maladie plutôt que d’éradication. Ce qui est alarmant, c’est un certain désintéressement des investissements financiers observé ces dernières années. Or, il est essentiel de maintenir un effort constant de la recherche sur le paludisme, à tous les niveaux, pour permettre de mieux comprendre le parasite et développer de nouveaux traitements et vaccins. En France, nous avons la chance d’avoir l’ANR qui peut financer des projets à la fois fondamentaux et translationnels.

Il y a enfin plusieurs menaces liées au paludisme : l’émergence de parasites résistants à l’artémisinine, résistance qui est en train de s’étendre en Afrique ; une résistance des moustiques aux insecticides ; l’extension d’espèces invasives de moustiques comme Anopheles stephensi ; les conséquences incertaines des changements climatiques sur la transmission du paludisme comme au Pakistan où des inondations exceptionnelles lors de la mousson de 2022 ont entraîné un excès de deux millions de cas de paludisme ; ou encore l’émergence de paludisme zoonotique avec Plasmodium knowlesi en Malaisie.

 

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Le parasite adopte une structure particulière aux différents stades de l’infection : les formes invasives infectant le foie sont les sporozoïtes* ; celles infectant les globules rouges, les mérozoïtes** ; ou celles envahissant l’intestin du moustique, les ookinètes. Dans le cas de certaines espèces comme P. vivax, le parasite peut persister de façon latente dans le foie sous une autre forme, dite hypnozoïte.

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