« Pêche et biodiversité dans l’Océan indien » (Bridges) : un programme de recherche pour penser et coconstruire des usages durables et équitables des ressources marines

Pouvez-vous nous présenter votre parcours et les enjeux du programme Bridges ? Quels sont les terrains sur lesquels vous travaillez ?

Joachim Claudet : Ecologue de formation, je travaille à l’interface des sciences naturelles et des sciences humaines. On pourrait ainsi définir ma discipline en tant que « science de la durabilité ».  Celle-ci porte sur la manière la plus efficace de concilier la conservation de la biodiversité et les usages humains qui en dépendent. Le plus gros de mon travail est donc d’identifier des solutions dites « gagnant-gagnant ».

Emmanuelle Roque :  Je suis pour ma part chercheure à l’IFREMER, mes travaux portent sur les interactions entre les organismes aquacoles et leur environnement. Je coordonne deux axes de recherche sur la problématique du plastique et leur impact en aquaculture dans le sud-ouest de l’océan indien. Je suis également référente thématique pour la direction scientifique de l’IFREMER sur l’Outremer. C’est à ce titre que je codirige le programme de recherche BRIDGES.

J. C. : Concernant les ambitions et le contexte dans lequel s’inscrit le PEPR, notons tout d’abord que le sud-ouest de l’Océan indien constitue un hotspot mondial du changement climatique. Parmi les multiples manifestations en cours : élévation du niveau de la mer, changement des écosystèmes, accélération de l’acidification de l’océan, des régimes de précipitations perturbés, événements météorologiques extrêmes et déplacements massifs de populations de poissons… Par ailleurs, l’un des événements considérés les plus à risque sécuritaire pour les populations de cette zone est l’évolution – à la baisse – des stocks de pêche. Ce risque a été identifié par le ministère des Armées comme un risque sécuritaire supérieur à celui de la piraterie par exemple. Bridges s’attache donc à proposer des solutions d’adaptation des pêcheries au changement climatique, en améliorant la gouvernance et la gestion commune des pêches tout en conservant mieux la biodiversité afin que les écosystèmes soient plus résilients. Les actions phares du programme sont ainsi des « outils de gestion spatialisée (OGS) » qui permettent de mettre des territoires en réseaux et donc de travailler de manière spatialisée. Ceux-ci peuvent par exemple inclure : les aires marines protégées (AMP) dont la priorité est la conservation de la nature ou encore des fermetures saisonnière ou permanente d’un lieu de pêche, pour la protection d’une population de poissons. Cela est d’autant plus pertinent étant donné que les objets de recherche du programme sont des « socio-écosystèmes » : des territoires sur lesquels il existe une très forte interaction entre les sociétés humaines et la nature. Ils comprennent les relations entre les personnes, les communautés et les écosystèmes, leur interdépendance et leur coévolution. BRIDGES étudie deux types de socio-écosystèmes : ceux associés aux ressources récifales (poissons, invertébrés…) et leurs habitats associés (récifs coralliens, herbiers, mangroves…) et interfaces (bassins versants et domaine hauturier) qui concernent la petite pêche côtière, principalement la pêche artisanale. Et les socio-écosystèmes associés aux ressources de grands pélagiques (thons et espèces accessoires) et habitats associés côtiers et hauturiers, concernés par la pêche au large, artisanale à industrielle.

E. R : Actuellement, près de 200 personnes (chercheurs, doctorants, post doc, partenaires régionaux) travaillent sur le programme et sont répartis sur les six sites d’études (sites « ateliers) à la fois français et étrangers : La Réunion, Mayotte, les Comores, le Mozambique. L’intégration d’un site d’étude à Madagascar est actuellement en cours de discussion avec les autorités et les partenaires. D’autres chercheurs impliqués travaillent depuis l’Hexagone. Un des grands objectifs du programme est aussi de d’aider à construire une nouvelle génération d’acteurs via un important volet de partage de compétences et de formation dans la région. Il s’agira aussi de démontrer au cours du programme que le développement et le bien-être économique, social et alimentaire, dépendent d’écosystèmes en bonne santé.
Nous espérons accompagner des changements de pratiques des acteurs à travers des ateliers participatifs. Plus qu’une recommandation, c’est davantage une manière de montrer, par l’exemple, le bénéfice de changement de certaines pratiques.  

Pouvez-vous nous présenter votre consortium ? Quels sont les acteurs et décideurs avec lesquels le programme est amené à interagir ?

J.C. : Le programme est copiloté par le CNRS, l’Ifremer et l’IRD, auxquels s’ajoutent de nombreux partenaires académiques : Météo France pour l’expertise climatique, l’IRIS pour l’expertise géopolitique, le Muséum national d’histoire naturelle pour leur expertise sur la biodiversité, les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), l’Université de La Réunion et l’Université de Mayotte qui sont clés dans la région, comme les universités au Mozambique et aux Comores.

Lors de notre lancement scientifique qui a eu lieu à La Réunion en septembre 2024, nous avons pu réunir un réseau élargi et en construction d’acteurs clés de la région. Parmi eux, on pense à la Western Indian Ocean Marine Science Association (WIOMSA) et à la Western Indian Ocean Marine Protected Areas Professionals Network (WIOMPAN), à l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) et la Commission de l’océan Indien (COI). Et bien sûr des gestionnaires des aires protégées de la région, de la Réserve naturelle marine de La Réunion, du Parc naturel marin de Mayotte avec l’OFB OI, du Parc national de Mohéli par exemple. Enfin, nous avons compté avec la présence d’acteurs clés du territoire réunionnais parmi lesquels la Région Réunion, l’Institut Bleu, la CRPMEM, Réunimer, le CITEB . Sur cet événement, nous avons compté près de 170 participants, dont 57% sont résident dans la région sud-ouest de l’océan Indien.

Le programme compte aussi avec des partenaires académiques français comme l’Université de Bretagne occidentale, l’Université de Nantes, Aix Marseille université, l’INRAE, l’Université de Montpellier.

Concrètement, quels sont les différents axes de recherche du programme ?

J.C. : Le programme est constitué de 6 projets ciblés, deux volets structurants et transverses, ainsi qu’un important volet de communication et valorisation.

Un premier projet vise à mieux connaitre les acteurs de la gouvernance maritime et à analyser les tensions et divergences dans la planification de l’espace littoral et marin. Il s’agit également de coconstruire des dispositifs participatifs et proposer des principes de gestion adaptés aux terrains d’études (BRIDGES CO-CONSTRUCTION).

A travers BRIDGES RESILIENCE, on va se concentrer sur les interactions entre l’Homme et la Nature, en particulier dans les communautés dépendantes de la petite pêche. A nouveau, des approches participatives seront utilisées pour co-construire des solutions innovantes avec les communautés locales.

Un projet nommé BRIDGES AVATAR va quant à lui créer les outils numériques qui permettent de produire des scénarios quantitatifs des évolutions des systèmes pour guider les ateliers participatifs et la démarche globale de BRIDGES. Tous ces outils, qu’ils soient quantitatifs ou qualitatifs, ont besoin de données pour fonctionner. C’est là qu’intervient le projet BRIDGES OBSERVATION qui vise à créer des observatoires de nos sites d’études, que nous souhaitons pérennes. Le projet a pour but de collecter des données, les partager, les traiter en temps réel. Données qui permettront d’informer la gouvernance adaptative des socio-écosystèmes de la pêche.

Ensuite, BRIDGES INFORMATION est un projet de support qui créé les systèmes d’informations dont on a besoin dans le domaine. 

Enfin, BRIDGES IMPACT vise à mesurer l’impact du programme BRIDGES sur la société, les changements transformateurs en œuvre.