Vers la bio-impression de peau sur mesure pour les grands brûlés : le projet BLOC-PRINT

Quels sont les grandes étapes de la fabrication d’un tissu biologique par bio-impression et les principaux verrous scientifiques et technologiques ?

Christophe Marquette : Une première étape consiste à formuler une bio-encre cytocompatible, c’est-à-dire dans laquelle des cellules ajoutées pourront y vivre et se développer pour créer un tissu imprimable. Il s’agit ensuite d’y placer les cellules puis de programmer les paramètres d’impression pour obtenir la structure souhaitée. Enfin une étape de maturation du tissu biologique imprimé est en général effectuée en laboratoire. Dans le cadre de BLOC-PRINT, cette dernière n’est pas nécessaire car l’impression est réalisée sur la plaie du patient et la maturation finale du tissu s’effectue ainsi in situ.

Amélie Thépot : La fabrication de peau par bio-impression fait face à plusieurs challenges, notamment trouver une source de cellules utilisables pour créer de la peau nécessaire au traitement des brûlures étendues. En effet, leur traitement est basé sur la greffe de peau saine prélevée chez le patient, or les surfaces saines ne sont pas suffisantes chez les grands brûlés. Il s’agit aussi de fabriquer des tissus en 3D parfaitement adaptés à la topographie de la plaie à recouvrir, et de greffer la peau dans un temps court. Il y a également un enjeu de règlementation puisque la maturation de tissus en laboratoire est encadrée par le statut de médicament de thérapie innovante qui reste contraignant.

Christophe Marquette : Des verrous sont en effet présents à toutes les étapes de fabrication. Concernant la formulation de la bio-encre il s’agit d’identifier les proportions et l’assemblage de biomatériaux qui réunissent les conditions optimales à la prolifération de cellules et à la maturation du tissu. Pour la production de cartilage in vitro, il s’agit de générer à partir de cellules souches des substituts cartilagineux par bio-impression, ce qui a été très peu fait, et de travailler sur des cocktails de facteurs de croissance pour obtenir une structure proche du cartilage. Enfin, concernant la bio-impression in situ, il s’agit d’identifier comment obtenir les informations de topographie de la plaie et les intégrer dans des trajectoires de dépôt.

Quels procédés avez-vous mis au point au sein du projet BLOC-PRINT pour produire in vitro de la peau et des substituts cartilagineux implantables ?

Amélie Thépot : Nous avons tout d’abord formulé une bio-encre implantable de grade médicale, en substituant les composants de notre bio-encre de grade R&D par des matières de grade médical. Après plusieurs analyses de la croissance des fibroblastes ajoutés (cellules principales du tissu conjonctif qui jouent un rôle clé dans la cicatrisation), cette nouvelle formule a été validée in vitro par la production de modèle de peau totale dont le derme a été bio-imprimé et l’épiderme ensemencé. Cette bio-encre est, à notre connaissance, la première de grade médicale.

Christophe Marquette : A noter que la mise au point de bio-encres fait appel à la rhéologie, soit la science des écoulements, qui nous permet de présélectionner des procédés, des matières ou des mélanges qui mènent à des caractéristiques rhéologiques nécessaires à l’impression 3D d’hydrogels. En effet, la bio-encre doit être suffisamment fluide pour être imprimée mais, une fois écoulée, elle doit être capable de présenter la forme 3D souhaitée ce qui est complexe.

Amélie Thépot : Nous avons par ailleurs mis au point une méthode de préparation de cellules de peau utilisables pour la bio-impression, qui peut être effectuée au bloc sans utiliser d’enzyme (protéine capable de catalyser une réaction biochimique) et sans phase d’amplification préalable en laboratoire, offrant ainsi un gain de temps. La méthode repose sur la dissociation mécanique de cellules issues d’une biopsie de peau chez le patient, cellules que l’on injecte ensuite dans la bio-encre. Nous avons pu imprimer dans la bio-encre une surface de peau environ cinq fois plus grande que la surface de la biopsie prélevée.

Christophe Marquette : Concernant la production de cartilage pour le traitement des lésions, l’approche est différente car les chondrocytes (cellules présentes dans le cartilage) ne s’amplifient pas in vitro. Nous avons donc intégré dans notre bio-encre des cellules souches mésenchymateuses amplifiées in vitro, puis différencié ces cellules en leur attribuant des informations biochimiques pour obtenir un phénotype chondrogénique. Nous avons obtenu une matrice extracellulaire spécifique du cartilage au sein des substituts cartilagineux produits par bio-impression 3D, sans dérive vers de l’os ou de la fibrose. Les tissus obtenus sont proches du cartilage, tant au niveau de la matrice qu’au niveau du phénotype des cellules présentes, toutefois la tenue mécanique des substituts cartilagineux semble insuffisante et leur maturation devra être effectuée sous contraintes mécaniques lors de futurs travaux, pour obtenir la résistance nécessaire.

Comment la technique de bio-impression mise au point s’adapte à la morphologie de la zone à recouvrir ?

Christophe Marquette : L’utilisation d’un bras automatisé 6 axes instrumenté d’outils a rendu possible la bio-impression sur des surfaces non planes. Les données de topographie de la plaie sont acquises grâce à un LIDAR embarqué, et la surface d’impression est reconstituée par un logiciel à partir de ces données. Il s’agit ensuite de générer des fichiers de surface de la plaie sur lesquels les trajectoires d’impression sont tracées. Nous avons optimisé le dépôt de la bio-encre, qui est effectué par extrusion pneumatique pour un meilleur contrôle des forces appliquées à la bio-encre, puis nous avons étudié la précision d’impression obtenue avec une distance de dépôt constante de 400μm. Nous avons également adapté cette bio-imprimante pour un fonctionnement sécurisé au bloc opératoire.