Résilience face aux changements environnementaux : ce que les sociétés anciennes nous apprennent

Quel est le point de départ de cette analyse des recherches sur les interactions sociétés humaines – paléoenvironnements ?

Matthieu Ghilardi : L’étude des rapports entre les sociétés humaines et les environnements du passé (les paléoenvironnements) est une thématique d’intérêt majeur car elle permet d’éclairer à des moments précis de l’histoire, en certains lieux, les impacts des civilisations anciennes sur l’environnement et la façon dont elles ont su s’adapter ou non aux changements environnementaux. Cette recherche fondamentale tournée vers le passé rejoint ainsi des préoccupations contemporaines et favorise une analogie avec les évolutions des sociétés actuelles dans un contexte de changement climatique.

L’analyse menée et restituée dans ce cahier thématique vise à mettre en lumière les principales problématiques, les méthodes et les résultats majeurs issus des projets de recherche soutenus par l’ANR depuis sa création en 2005. Elle couvre de manière quasi intégrale la période du Quaternaire de -2,6 millions d’années à nos jours, marquée par la diffusion des préhumains, puis de l’espèce humaine sur la surface de la Terre.

Quelles sont les méthodes mobilisées au sein des projets pour reconstituer les environnements du passé et étudier ces interactions ?

Matthieu Ghilardi : Ces travaux sont par essence interdisciplinaires. Ils associent des scientifiques en sciences humaines et sociales tels que des archéologues ou des historiens, et des spécialistes de l’environnement : géographes, paléoécologues, paléoclimatologues, géochimistes, …, autour d’une problématique commune, à savoir comment les sociétés anciennes ont pu s’adapter ou non à l’aridification du climat notamment ? Pour reconstituer les climats du passé, les scientifiques mobilisent des techniques et des méthodes variées reposant sur la réalisation de fouilles archéologiques ; l’étude d’archives écrites ; le prélèvement de sédiments par carottage dans des lacs, des marais ou encore des lagunes ; l’analyse de bioindicateurs conservés dans des sédiments comme des grains de pollen ou des charbons ; ainsi que des méthodes de datation (par radiocarbone, …). 

Les variables climatiques telles que les températures ou les précipitations du passé, sont ensuite reconstruites à l’aide de calibrations et de validations par rapport au climat actuel. L’un des enjeux étant d’évaluer l’impact des variations des climats du passé sur le fonctionnement des sociétés humaines aux périodes observées, comme le projet HADoC qui étudie les effets des changements climatiques sur les trajectoires de diffusion des ancêtres de l’homme en Afrique. Le passage d’une échelle intra-site, où l’humain est extrêmement présent, à une approche plus large, c’est-à-dire à l’échelle du bassin versant, de la plaine ou du lac, est de plus essentielle pour éviter une surreprésentation des activités humaines dans l’étude des interactions sociétés du passé – environnements.

Que nous apprennent ces travaux concernant les impacts des sociétés humaines du passé sur l’environnement ?

Matthieu Ghilardi : Ces travaux montrent une forte emprise des sociétés humaines sur la biodiversité terrestre, tel le projet BigGame qui s’intéresse à la disparition des grands herbivores en contexte de Néandertal en France septentrionale, mais aussi sur la biodiversité marine. Le projet PALEOCET nous montre par exemple que les baleines étaient déjà chassées par Homo sapiens dans le Golfe de Gascogne il y a environ 20 000 ans, et que les espèces exploitées révélaient une biodiversité insoupçonnée à cette période.
La durabilité des environnements et des ressources exposés aux actions des sociétés sur le temps long a toutefois été peu étudiée au sein des projets du corpus d’analyse et nécessite de futures recherches pour mieux quantifier les impacts sur la biodiversité ou sur les sols ou en matière d’émissions de gaz à effets de serre, avec notamment la pratique de la culture sur brûlis ainsi que le développement de l’élevage et de l’agriculture.