25 novembre | Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des Femmes : focus sur les violences conjugales
Les violences conjugales sont mises au pluriel car elles recouvrent différentes formes de violences : psychologiques, physiques, sexuelles, économiques, administratives. Elles constituent en France non pas une infraction mais une circonstance aggravante. Longtemps cloisonnée et limitée aux couples mariés, cette circonstance aggravante englobe aujourd’hui des formes diverses de conjugalités.
Ariane Amado et Oona Le Meur, qui portent le projet VioletGinger, s’accordent à dire que les violences conjugales et intra-familiales s’inscrivent dans des rapports de domination de genre. Selon le Parlement européen, la violence basée sur le genre désigne toute forme de violence dirigée contre une personne en raison de son genre, plus loin, il est dit que les termes « violence basée sur le genre » et « violence à l’égard des femmes » sont souvent utilisés de manière interchangeable, car la plupart des violences basées sur le genre sont perpétrées par des hommes à l’encontre de femmes. Les femmes sont les plus touchées par les violences conjugales et représentent près de 87 % des homicides sur conjoint, mais la question des violences conjugales au sein des couples de même sexe, personnes trans ou non-binaires, et les cas de femmes violentes envers leur conjoint sont invisibilisés, plus difficile à déceler que les violences dans un cadre hétéronormé. L’équipe du projet VioletGinger travaille sur la façon dont les professionnels de la justice se saisissent de cet angle mort.
Le projet VioletGinger
Le projet tire son nom de l’acronyme VIOLEnces in The marGINs of GEndeR, mais fait aussi référence à deux drag queens américaines très populaires aux États-Unis, Violet Chachki et Ginger Minj – porte-paroles et drapeau de combats et de revendications politiques de la communauté LGBTQIA+, « elles incarnaient bien les marges sur lesquelles se concentre notre recherche », expliquent les deux chercheuses.
Né d’une réflexion commune entre Ariane Amado, spécialiste de droit pénal et pénitentiaire, et Oona Le Meur, spécialiste de l’analyse des pratiques et des raisonnements juridiques ainsi que de l’anthropologie du droit, ce projet interroge l’invisibilité des violences conjugales hors du schéma homme auteur cisgenre / femme victime cisgenre. Quelle place occupent les marges si on prend le temps de les regarder ? Selon Oona Le Meur, « appréhender ces marges permet de mieux comprendre les mécanismes du centre ».
Cet angle reste peu étudié en France, en partie parce que les données sur la communauté LGBTQIA+ sont difficiles à recueillir. Le ministère de la Justice ne recense pas l’état civil des parties civiles, mais uniquement celui des auteurs et autrices, mis à part pour les cas de meurtre dans lesquels l’état civil des victimes est recensé. Les statistiques sont aussi biaisées par le nombre de personnes n’ayant pas fait leur changement de sexe à l’état civil. Enfin, ces statistiques montrent seulement les cas judiciarisés, dus, notamment, à la méfiance de la communauté LGBTQIA+ envers les institutions, particulièrement la police. Il est donc impossible d’estimer précisément les violences conjugales au sein des couples de même sexe, personnes trans ou non-binaires.
« Faire du terrain nécessite de rester flexible »
Le projet VioletGinger s’appuie sur des méthodes mixtes empiriques et adopte une approche interdisciplinaire, en associant des sociologues, des politistes, des géographes et des historiens du droit. Les chercheuses appliquent le principe d’ « éclectisme raisonné », théorisé par l’anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan, qui valorise la diversité des données et l’imprévu du terrain.
Leur enquête combine entretiens, observations d’audience et dépouillements de dossiers dans six juridictions de tailles, de profils sociaux-démographiques et de climats divers en France hexagonale. Si les situations se ressemblent globalement d’un territoire à l’autre, une différence entre zones rurales et zones urbaines persiste : celle de l’accessibilité au service public.
Les facteurs de passages à l’acte des violences conjugales sont souvent identiques dans les couples hétérosexuels et au sein des autres couples étudiés : adultère, séparation, argent, crise de couples tout comme les modes d’emprise et de contrôle coercitif. Certains leviers sont toutefois propres aux minorités de sexe et de genre, comme les enjeux de coming out ou de transition de genre qui peuvent créer des formes spécifiques de dépendance, mais les rapports de pouvoir observés en justice restent comparables à ceux des couples hétérosexuels. Une question reste à l’appréciation des juges d’application des peines : « comment administre-t-on des peines à des personnes de la communauté LGBTQIA+ dans un système ou les peines sont encore très hétéronormées et où l’auteur ou l’autrice se retrouverait en situation de vulnérabilité ? »
