MaHeWa : vagues de chaleur et ondes de choc dans les écosystèmes marins du Pacifique Sud
Si le grand public est désormais tristement accoutumé aux canicules « terrestres », notamment estivales, et leurs cortèges d’aléas – incendies, mises en danger des personnes vulnérables – on sait encore peu de choses sur celles qui se trament sous l’océan. Notamment parce qu’elles concernent des variations de températures moins décelables à l’échelle humaine. Les canicules marines (CM) se définissent pourtant par des périodes de hausses de température très au-dessus des normales saisonnières à la surface des mers, de manière ininterrompue sur a minima cinq jours d’affilée, bien que certains épisodes puissent s’étendre sur plusieurs mois. Et cela est amplement suffisant pour déclencher une réaction en chaine de phénomènes physiques perturbant la vie marine. Le blanchissement massif des coraux, le déplacement ou la mortalité d’espèces côtières, ou encore la prolifération d’algues toxiques en sont quelques sinistres exemples.
Le projet Mahewa, porté par l’IRD et démarré en novembre 2024, s’attèle à une recherche transdisciplinaire sur ces canicules marines au sein des territoires français ultramarins ( Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna et Polynésie Française). Ces régions étaient particulièrement ciblées par l’appel à projets « Un océan de solutions » du PPR Océan et Climat, piloté par le CNRS et l’IFREMER dans le cadre de France 2030, dont MaHeWa est lauréat.
Comment ces phénomènes, passés et futurs, interagissent avec les milieux ? Comment est-il possible de prévoir, quantifier leur survenue et mesurer leurs impacts à des échelles variées : écologiques, socio-écologiques, économiques, socio-culturelles ? Ce socle de connaissances « scientifiques » des phénomènes devra ensuite permettre aux chercheurs impliqués dans le projet de penser et co-construire des solutions d’adaptation et d’atténuation des effets de ces épisodes en lien direct avec les nombreux acteurs territoriaux concertés. La Province des Iles, la Province Nord, la Province Sud, la Direction des affaires sanitaires et sociales (DASS-NC) de la Nouvelle-Calédonie, la Direction des Ressources marines (DRM) en Polynésie Française, l’Agence de développement de la Nouvelle-Calédonie (ADECAL), Météo-France ainsi que des entreprises et des associations des territoires sont d’ailleurs signataires du contrat de Gouvernance du projet. De fait, ces épisodes vont voir leur fréquence et leur intensité augmenter de façon significative au cours des prochaines décennies, dans des territoires dont les populations sont par ailleurs extrêmement dépendantes de l’activité et des ressources marines, à divers niveaux (alimentaire, économique, touristique).
Un océan en surchauffe et des écosystèmes marins sous pression
Les canicules marines peuvent être générées par des phénomènes variés, naturels : elles peuvent être expliquées par des modes climatiques naturels comme El Niño, par des modifications des courants marins, ou des conditions atmosphériques anormales. Le réchauffement climatique d’origine anthropique explique par contre l’augmentation drastique de leur fréquence, de leur intensité, et tend à intensifier leurs manifestations.
Ces enjeux multilatéraux ont naturellement appelé à la construction d’un consortium transdisciplinaire impliquant climatologues, océanographes, biologistes, anthropologues et économistes de renommée internationale, basés en métropole et au cœur des terrains concernés. Sophie Cravatte, qui travaille quant à elle à Nouméa, au LEGOS, nous informe : « Le terme de « canicule marine » est assez récent. Il a été utilisé pour la première fois en 2013 pour qualifier un épisode inédit à l’ouest de Australie. Pendant une période d’un mois ou deux, les températures ont été très chaudes, entraînant des impacts très importants sur les écosystèmes des régions et sur la mortalité des espèces, le blanchissement des coraux. Depuis, la communauté scientifique s’est largement emparée de ce concept, devenu quasiment « à la mode ». ». Et pour cause, ces phénomènes extrêmes ne connaissent pas de frontières et sont largement répandus à la surface du globe avec des conséquences rapportées à la fois sur les écosystèmes marins, les sociétés et les économies. Même en Europe. Sophie Cravatte évoque notamment « la hausse de sept degrés dans l’Atlantique nord à l’été 2024 et la récente série de canicules marines ayant eu lieu en Méditerranée, avec des effets dramatiques sur les gorgones en particulier. »
Mieux comprendre et appréhender les risques que ces canicules représentent s’impose donc comme une nécessité, pour aujourd’hui et demain. Sophie Cravatte précise que « d’après les observations récentes dans le Pacifique Nord, ceux-ci peuvent impliquer des déplacements de populations de poissons, la mortalité d’oiseaux marins, des échouages de mammifères sur les côtes, des impacts néfastes sur l’aquaculture… »
Etudier le passé pour anticiper les futures canicules
Comment s’articule l’ambition de MaHeWa ? Dans un premier temps, l’équipe s’attèle à identifier et comprendre la « physique » de ces épisodes au cours des trente dernières années, quels mécanismes les ont générés, dissipés ou maintenus. Cette compréhension se fait via des observations par satellites et des modèles numériques. Des modèles climatiques futurs vont ensuite tenter de déterminer de façon réaliste la typologie et la fréquence de survenue de nouveaux épisodes aux abords des régions du Pacifique sud, en vue de mieux évaluer les risques en matière de stress thermique. Sophie Cravatte évoque ainsi « un travail à grande échelle, au large de l’océan et à plus petite échelle, au sein des lagons, où l’on connait encore assez mal l’impact concret des canicules marines. Nous y déployons des capteurs pour documenter les liens entre l’impact des CM à l’intérieur des lagons, au plus proche des côtes et leur relation aux signaux relevés au grand large. »
Un deuxième axe du projet, porté par des écologues et biologistes, va porter sur trois types d’impacts. D’abord, les experts vont étudier – en laboratoire et sur le terrain – la sensibilité et l’adaptabilité des coraux aux canicules marines, notamment les risques de blanchissement et le seuil de stress thermique « bascule » entraînant celui-ci. Mais également les facteurs, génétiques, métaboliques ou alimentaires favorisant la protection, la résilience et la régénération de certains coraux. Bien identifier les colonies de coraux résilients et d’autres plus vulnérables permet ainsi de cartographier les zones à risques, notamment pour que les gestionnaires adaptent leurs actions de conservation.
Une deuxième étude porte sur l’impact des CM sur les espèces exploitées en aquaculture mais aussi celles concernées par la pèche vivrière, c’est-à-dire destinée à une consommation locale et familiale. Sophie Cravatte poursuit : « Nous travaillons de manière hybride du terrain au laboratoire. En collectant des espèces, par exemple des espèces au stade larvaire et d’autres adultes auxquelles sont soumis des stress thermiques, nous observons les seuils au-delà desquels celles-ci sont affectées de manière notable, dans leur survie ou leur développement normal. En Polynésie, ces études vont concerner également les huitres perlières, vivier de l’économie locale, mais aussi des bénitiers cultivés pour leur consommation et divers types de poissons ». Une fois ces tests effectués en laboratoire, ceux-ci seront transposés en lagon dans des « mésocosmes », permettant d’étudier ces variations thermiques en milieux naturels semi-contrôlés.